Vous vous sentez en danger, vous êtes sur
le qui-vive à votre travail, pour faire toujours mieux. Au fil du temps, vous
ne prenez plus le temps de déjeuner, vous partez de plus en plus tard le soir.
Le jour, au travail, vous pensez sans pouvoir vous en empêcher aux critiques
sur votre travail. La nuit, vous faites des cauchemars sur le travail qui vous
réveillent en sueur. Bientôt, vous n’arrivez plus à dormir. Les week-end, vous
êtes couché avec des maux de tête ou de ventre. Vous n’avez plus l’énergie de
vous occuper de vos enfants. Vous ne sortez plus car vous vous sentez épuisé et
puis ce que vous ressentez au travail est impossible à partager, et vos amis se
sont lassé de vous entendre parler du travail, rien que du travail… La vie
sociale est devenue peau de chagrin.
Vous avez peur sur le chemin du travail, souvent votre cœur bat plus
vite, vous vous mettez à trembler, vous avez un poids sur l’estomac ou la
poitrine. Vous pleurez dans votre voiture ou aux toilettes. Vous êtes perdu et
ne savez plus ce qui est bien ou mal, juste ou injuste, vrai ou faux.
Vous passez votre temps à vous justifier pour que
les critiques s’arrêtent. Comme tout ce que vous faites est critiqué, vous
finissez par vous croire nul. En plus, vous avez des problèmes de mémoire, vous
avez du mal à vous concentrer.
Vous maigrissez, ou bien vous grossissez, vous êtes plus souvent
malade: eczéma, gastrites, problèmes gynécologiques…
Vous vous sentez harcelé, en souffrance
au travail. Vous vous sentez seul, pas soutenu, perdu. Vous ne savez plus quoi
faire. Vous vous demandez pourquoi vous vous mettez dans un tel état pour le
travail. D’ailleurs, on vous le dit, on ne vous a pas demandé d’en faire
autant.
Ces symptômes
sont spécifiques aux situations de souffrance au travail
Si le travail peut vous faire autant souffrir, c’est d’abord parce qu’il
est porteur de nombreuses promesses. Promesse de l’utilisation et de
l’amplification de vos savoir-faire, bref de votre corps. Promesse
d’accomplissement de soi par le regard des autres sur son travail et de la
construction identitaire qui en découle. Promesse d’autonomie financière
et de sortie de la dépendance aux parents, le travail est aussi promesse de
l’apprentissage du vivre ensemble. Le monde du travail est l’espace social qui
nous oblige à sortir de nous-mêmes, à interagir, partager et nous confronter
avec tous les autres. Travailler, c’est se travailler et travailler ensemble.
C’est parce que le travail est porteur de toutes ces promesses qu’il peut,
dans des conditions négatives, être source de souffrances spécifiques, de
destructivité massive, incompréhensibles de l’extérieur. Et souvent de
l’intérieur, pour celui qui souffre.
Une priorité, en parler, mais à qui ?
Du côté des soins
Votre médecin généraliste, en qui vous
avez confiance, qui vous suit depuis longtemps et se rend bien compte que
depuis l’arrivée d’un nouveau manager ou depuis la modification de
l’organigramme, ou depuis que vous travaillez sur un nouveau logiciel, vous
allez moins bien. Il connaît les symptômes que nous avons décrits ci-dessus…..
Votre médecin du travail. Quelquefois,
vous le craignez alors qu’il est comme le médecin traitant soumis au secret
médical. Lors des visites obligatoires, vous lui cachez ce qui ne va pas.
Vous avez tort. Il est là pour vous conseiller. Que ce soit dans le cadre des
visites systématiques ou bien à votre demande, vous devez expliquer au médecin
du travail ce que vous vivez afin que ce soit noté dans votre dossier
médical. En cas d’aggravation de votre situation, votre dossier de médecine
du travail fera preuve de l’aggravation de votre état de santé.
Ces deux médecins, s’ils le jugent nécessaire, pourront évaluer l’urgence à
vous mettre en arrêt pour vous sortir de la situation de travail pathogène.
Souvent, vous êtes dans un tel état psychologique que vous n’osez pas vous
arrêter. C’est indispensable pour éviter que votre état devienne chronique.
Il ne s’agit pas de vous arrêter pour vous arrêter. Cet arrêt maladie est
un temps nécessaire pour vous reposer, prendre le temps de comprendre ce qui
vous arrive et avec vos médecins réfléchir à l’avenir.
Le médecin traitant va mettre en place un traitement médicamenteux et un
suivi psychothérapique. Etre arrêté, médicamenté et suivi atteste de la gravité
de votre état vis à vis du médecin conseil de la sécurité sociale.
Le médecin du travail devrait vous voir pendant votre arrêt, uniquement à
votre demande, dans le cadre de visites
de pré-reprise, pour vous
aider à mieux comprendre la dégradation de votre situation de travail. Ce
travail de compréhension est fondamental car il va vous permettre de prendre du
surplomb, de la distance par rapport à votre vécu. Le médecin du travail peut
d’ailleurs vous orienter vers un clinicien du travail.
Souvent vous pensez être victime de la méchanceté de quelqu’un. La plainte
individuelle, centré sur la psychologie d’un supérieur affaiblit votre
discours. Vous savez que se plaindre est depuis toujours signe de fragilité
personnelle. La plainte individuelle est immédiatement renvoyée à l’histoire
personnelle, aux difficultés intimes. Le conflit se résume à un conflit de
personnes. C’est peut-être le cas. Mais il vaut mieux vous pencher sur les
modifications de vos conditions de travail qui concernent peut-être tous les
salariés. Votre souffrance devient alors une affaire collective.
Du coté de l’entreprise
Le médecin du travail peut, avec votre accord, et sans parler de vous
nominativement, interpeller
l’entreprise, la direction, le CHSCT, les DP sur les dysfonctionnements qui
présentent des risques pour la santé des salariés. Si la direction est de bonne
foi et a conscience de sa responsabilité, des actions sont possibles.
Vous pouvez aussi évoquer votre situation auprès des DP, DS, membres du
CHSCT, qui pourront remonter les dysfonctionnements à la hiérarchie. Seule une
délibération collective peut permettre de toucher à une organisation
du travail pathogène.
Interview
de Paul Bouaziz sur les techniques de management pathogènes.
Voir aussi l’Arrêt
SNECMA de la Cour de Cassation.
Les stratégies de retour au travail ou de sortie de l’entreprise
- Si l’arrêt maladie, le traitement et la discussion sur le travail vous
permettent d’envisager sereinement le retour à votre poste après, qu’on a
procédé de bonne foi aux modifications nécessaires grâce à l’intervention des acteurs
de l’entreprise, la parenthèse sombre se referme.
- Si vous avez perdu confiance dans votre environnement professionnel
proche (hiérarchie, collègues) et vous voudriez muter sur un autre poste, le
médecin du travail peut préconiser cette
mutation (L 4624-1) qui s ‘organisera en concertation avec la direction, la
DRH et vous.
Ces deux cas de figure ne sont envisageables que si l’entreprise a bien
conscience de sa responsabilité vis-à-vis de la santé des salariés.
Voir aussi la loi L4121-1
du code du travail.